Entre chaud et froid
Dans l’atelier de Ye Xing Qian je regarde ses œuvres : peinture à l’huile ou encre sur papier, figurative ou abstraite, l’artiste a exploré différents matériaux et différents styles. Je ne peux m’empêcher de m émerveiller devant sa créativité exubérante et son enthousiasme toujours intact.
Sa rencontre avec l’art moderne et contemporain est un choc esthétique qui le propulse dans un autre monde.
Evitant les chemins parcourus par ses maîtres Zao Wu Ki et Soulages, Ye Xing Qian emprunte un autre chemin et se forge rapidement son propre monde.
Si Zao Wu ki est dans un sens une abstraction chaude par rapport à celle de Kandinsky Soulages est en quelque sorte l’abstraction froide par rapport à Mondrian. L’abstraction de Ye Xing Qian se situe entre les deux. Le chaud et le froid étant les deux extrêmes l’art du juste milieu est exactement la caractéristique de la culture chinoise.
Entre le chaud et le froid est ce qu’on peut qualifier le modéré. Ce juste milieu fait référence non seulement au compromis du langage artistique mais également à l’obligation de simplicité de compréhension du langage artistique.
L’abstraction chaude et l’abstraction froide supposent un monde qui transcende le monde réel, qu’il s’agisse d’un monde métaphysique ou d’un monde inconscient ce monde est extrême. Ye Xing Qian, lui, est à la recherche de l’enracinement de ses peintures dans le monde où nous vivons. C’est pourquoi YE Xing Qian ne fait pas de mystères et ne prétend par être profond, il peint le monde tel qu’il le ressent. Il crée une peinture accessible dans un monde humain et vivant.
Dénicher l’abstraction dans l’expérience du vécu quotidien équivaut à poursuivre la voie du juste milieu dans la philosophie chinoise.
Feng You Lan a fort bien compris l’état quasi extatique des philosophes chinois : les artistes sous les dynasties Wei et Jin incarnaient parfaitement cette poursuite spirituelle qui n’était en aucun cas modérée. En effet, les artistes et lettrés de cette époque avaient besoin de boire de l’alcool et de prendre des drogues pour atteindre un état de haute spiritualité.
Sous les dynasties Tang et Sui les moines bouddhistes n’ont plus recours à l’alcool et aux drogues pour atteindre la haute spiritualité. Les moines vaquent aux corvées du quotidien : transport de l’eau, coupe de bûches pour le feu, les moines mènent une vie normale. C’est justement cette poursuite délibérée de la vie ordinaire qui rend ces moines peu communs. Cependant, les vrais moines éprouvent la nécessité de se retirer dans des temples isolés au milieu des forêts des zones montagneuses.
Sous les dynasties Song et Ming les philosophes prônent l’étude de la raison « Li » afin d’atteindre la modération.
La recherche de l’abstraction douce de Ye Xing Qian liée à la vie ordinaire nécessite également une conscience très élevée, pourtant, Ye Xing Qian a su montrer une grande aisance dans sa quête artistique. Ni louanges, ni humiliations ne peuvent le surprendre ce qui est assurément le plus précieux pour un artiste.
22 octobre 2013
A l’Université de Beijing Wei Xiu Yuan
Peng Feng
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